Femmes en vue

Bénin: conditions de détention “illégales et féroces”

Depuis sa cellule, l’opposante Reckya Madougou alerte l’opinion internationale.

L’opposante béninoise, Reckya Madougou, ancienne garde des Sceaux sous le régime du président Boni Yayi, souffre le martyre à la prison civile d’Akpro-Missérét, selon ses confidences. Condamnée depuis 2021 à une peine de vingt ans de prison pour “terrorisme”, Mme Madougou a décidé de rompre le silence pour alerter l’opinion nationale et internationale, à travers une lettre, dans laquelle elle dénonce les conditions de détention “illégales et féroces” que lui infligent les autorités de l’agence pénitentiaire du Bénin.

Au Bénin, cette information devenue virale suscite moult commentaires, aussi bien dans le camp de la mouvance que de l’opposition. La lettre de Reckya Madougou incarcérée à la prison civile d’Akpro-Missérété depuis trois ans, sonne comme un véritable pamphlet contre le patron des prisons. La lettre intitulée “Le cri de cœur d’une détenue politique aux droits bafoués jusque dans les geôles”, dépeint les conditions de détention de l’opposante.

Après s’être longtemps murée dans le silence et la douleur, ce qui n’a nullement arrangé les choses -puisque son état de santé a pris un sérieux coup- selon ses propos, Mme Madougou a décidé d’alerter sur son régime carcéral ; une action déjà menée par son avocat, à maintes reprises et sans succès, souligne-t-elle.

Des conditions de détention “illégales et féroces”

Dans sa lettre, l’opposante y est allée sans détours, s’adressant nommément au directeur de l’agence pénitentiaire du Bénin. “C’est à vous que je m’adresse publiquement pour les besoins de l’histoire”, tance-t-elle, s’étonnant qu’on lui interdise de téléphoner à ses enfants et à son médecin traitant. “Dans quel Etat de droit un prisonnier est interdit de téléphoner même à ses enfants et à son médecin traitant quand il est souffrant, et sans tenir compte de la loi?”, s’interroge Reckya Madougou, clarifiant être la seule à endurer une telle situation à la prison civile d’Akpro-Missérété. “Je porte ma croix et je vous survivrai, grâce à Dieu quoi que vous m’infligiez comme supplice et humiliations”, semble-t-elle se consoler.

Dans son récit, elle évoque notamment une amère expérience qui remonte seulement à l’année dernière. La détenue qui avait voulu téléphoner à son fils à la veille de l’examen du BEPC courant juin 2023, “pour lui dire à quel point je l’aime et lui conseiller d’être mentalement fort pour aborder ce tournant de ses études, comme tout parent le prodigue à sa progéniture à l’approche des examens scolaires”, raconte avoir été tournée en bourrique. Par ailleurs, Mme Madougou qui affirme se voir refuser les droits élémentaires accordés à tout prisonnier, rappelle qu’il a fallu “plus de deux ans pour obtenir une simple autorisation d’aller procéder à des examens médicaux dans des hôpitaux sur le territoire national”.

Le refus de visite des députés sonne comme un déclic

La lettre de Reckya Madougou est surtout motivée par l’interdiction faite à un groupe de députés de l’opposition venus lui rendre visite à la prison civile d’Akpro-Missérété. Face aux critiques de l’opposition, le directeur de l’agence pénitentiaire a publié un communiqué, expliquant que “Madame Madougou  ne fait l’objet d’aucune restriction de visite, elle a accès à son médecin. Les députés refoulés n’avaient pas de permis de visite”. Un sésame qui, aux dires de Reckya Madougou, a été “miraculeusement exhumé des décombres de la préhistoire révolutionnaire de notre pays à mon encontre et que plusieurs membres de ma famille biologique et politique ont tenté d’obtenir, sans succès”.

“Le calvaire que je subis jour après jour est sans nom, au mépris de la demande de ma libération par le Groupe de Travail de l’ONU qui a déclaré ma détention triplement arbitraire”, se désole la détenue, affirmant pour conclure : “Je le dénonce afin que nul ne le subisse demain, pas même ceux qui m’y soumettent aujourd’hui”.

Patrice Talon justifie le non-respect de l’avis de l’Onu

Au Bénin, la Cour Constitutionnelle s’est penchée sur certains recours formulés dans le cadre de la détention de l’opposante Reckya Madougou. Celui notamment en lien avec le non-respect d’un avis du groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire retient le plus l’attention. Ce recours formulé par un citoyen béninois pointe du doigt le gouvernement comme responsable de la situation que continue de vivre l’opposante. Le président Patrice Talon s’est expliqué sur le sujet, devant la haute juridiction.

Selon les termes de l’avis n°51/2022 rendu le 2 novembre 2022 par le groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU, l’organisme onusien juge que « la privation de liberté de Reckya Madougou est arbitraire ». Il demande donc au gouvernement béninois de « libérer immédiatement » l’opposante béninoise qui s’était lancée dans la course à la présidentielle d’avril 2021 face à Patrice Talon avant de voir sa candidature rejetée par la Commission électorale nationale autonome, faute d’un nombre suffisant de parrainages. Un délai de six mois avait été donné aux autorités pour faire le point.

Cependant, depuis, rien n’a été fait par le gouvernement béninois pour la libération de Reckya Madougou. Une attitude condamnée par l’opposition dans sa majorité, mais également par de nombreux acteurs de la société civile. A l’expiration du délai, ces derniers estiment que le président a violé la Constitution en manquant d’assurer l’exécution de l’avis du groupe de travail de l’Organisation des Nations Unies sur la détention arbitraire.

Plusieurs recours à la Cour constitutionnelle

Pour Fiacre Mario Ayeko Oladelé, auteur du recours sur le cas Madougou, le chef de l’État ainsi que son ministre de la Justice seraient coupables de ne pas avoir pris en compte l’avis du groupe de l’Onu. Contrairement aux demandes des Nations Unies, la candidate recalée à la dernière élection présidentielle est toujours en détention. L’auteur du recours estime donc que le gouvernement a violé la Loi fondamentale du Bénin en son article 147 et l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cet avis a été partagé par cinq autres juristes qui ont formulé des recours sur le même sujet devant la Cour Constitutionnelle. Face à tout ceci, le président et le garde des sceaux se sont expliqués devant les sept Sages.

Les explications du gouvernement

Pourquoi l’État béninois n’a pas exécuté l’avis du Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, notamment par rapport au dossier Reckya Madougou ? Là-dessus, à en croire Patrice Talon, qui répondait par l’intermédiaire du Secrétaire général du gouvernement, Pascal Koupaki, « l’avis déféré n’ayant pas de force contraignante, il ne saurait juridiquement s’imposer au Bénin et à ses institutions ». Dans ses explications, le gouvernement précise que la candidate recalée à la présidentielle de 2021 fait l’objet d’une détention en vertu d’une condamnation prononcée par une juridiction compétente et qu’il ne dispose d’aucune prérogative constitutionnelle pour interrompre par lui-même l’exécution d’une telle condamnation.

Par ailleurs, le gouvernement a demandé à la Cour Constitutionnelle de déclarer le recours mal fondé et de noter qu’il n’y a pas violation de la Constitution. Se basant sur le caractère de l’avis du GTDA / ONU, la Cour constitutionnelle estime alors qu’il s’agit d’une recommandation, se déclarant ainsi incompétente dans l’affaire.

Reckya Madougou a été arrêtée en mars 2021 et jugée coupable de financement du terrorisme. L’ancienne ministre de Boni Yayi a été condamnée à 20 ans de prison par la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET). Après sa condamnation, le GTDA / ONU a émis un avis sur la détention en faveur de l’accusée en fixant un délai de six mois au gouvernement pour la libérer. L’organisme international demandait également au Bénin de payer à la détenue des dommages-intérêts. Reckya Madougou qui a toujours rejeté les faits, n’a pas fait appel de sa condamnation.

C R Houngbedji

LEAVE A RESPONSE

Your email address will not be published. Required fields are marked *