L'invitée

Nadia FETTAH ALAOUI, Ministre de l’Economie et des Finances du Maroc

« Notre priorité est de faire face aux défis de la conjoncture actuelle et de réduire leurs effets directs sur l’économie nationale et le niveau de vie des citoyens »

Madame la Ministre, vous êtes en charge de la politique économique et financière du Royaume du Maroc, il y a un peu plus de deux ans. Pouvez-vous nous rappeler quelles sont vos missions à la tête de ce département ministériel ?

C’est une mission qui repose sur deux piliers complémentaires. Le premier est relatif à la gestion des ressources et des charges de l’Etat à travers le budget général qui permet de donner vie aux différentes stratégies sectorielles. Le deuxième pilier concerne la politique économique qui doit accompagner à la fois la conjoncture économique et le processus de transformation structurelle. Pour donner quelques exemples, l’on peut citer la politique fiscale, la politique des prix, la commande publique, la gestion des entreprises et établissements publics, la gestion du foncier public…

A côté de cela, le ministère a un rôle fondamental en termes d’écoute et d’accompagnement des autres départements, notamment pour la réalisation de projets structurants en matière de développement économique et social et la mise en œuvre des meilleures pratiques de performance et de gouvernance. Le Ministère a également un rôle important de dialogue avec différentes institutions nationales et internationales pour la mise en œuvre de la stratégie de financement du Trésor aussi bien en interne qu’en externe.

Durant ces deux années de ministère, à quels défis et enjeux vous vous êtes confrontés ? Quelles stratégies aviez-vous conçues et implémentées pour les surmonter ?

Le Ministère fait face principalement à trois défis importants, particulièrement dans la conjoncture actuelle. Le premier est de réussir à mobiliser les ressources suffisantes pour mettre en œuvre le programme gouvernemental qui a d’importantes ambitions notamment dans le domaine social. Le deuxième est lié à notre capacité à maintenir de bons fondamentaux et les grands équilibres macro-économiques. Enfin, le troisième défi est permanent : il s’agit de favoriser la transformation structurelle de notre économie afin d’attirer des investissements productifs dans des secteurs prometteurs tout en se préparant aux enjeux du changement climatique.

Le premier défi est, à mon sens, le plus complexe. Nous avons à cet effet adopté une approche multidimensionnelle basée notamment sur une réforme fiscale ambitieuse qui arrive aujourd’hui à un stade de maturité. S’agissant du deuxième défi qui est intiment lié au premier, le mot d’ordre est celui d’une gouvernance saine et efficace. Notre feuille de route inclut divers leviers tels la démarche de performance budgétaire qui permet des investissements publics plus efficaces et rentables, l’amélioration de la gouvernance des entreprises et établissements publics, mais également des leviers nouveaux tels que les financements innovants et le Partenariat Public Privé. Enfin, la transformation structurelle passe par l’appui aux stratégies sectorielles avec un accent sur la décarbonation, la résilience climatique et les réponses apportées face au stress hydrique.

L’économie marocaine, comme celles de nombreux autres pays, à travers le monde, souffre des répercutions des conflits. Quelles sont les conséquences économiques de ces conflits pour votre Pays ?

Ces conflits successifs ont fait suite à un monde encore fragilisé par la pandémie du Covid-19 et ont touché l’économie mondiale mais plus particulièrement certains pays. Pour le cas du Maroc, les principales conséquences économiques sont liées à nos paramètres internes et à la structure de notre économie. La première conséquence négative est liée à l’inflation importée surtout en raison de la guerre en Ukraine. Le Maroc qui est un pays où l’inflation est généralement faible s’est retrouvé avec une inflation de près de 10% en février 2023. Cette inflation a d’abord concerné les matières premières que le Maroc importe en grande quantité. Ces conflits ont ensuite conduit à la perturbation des circuits de distribution et de production qui a eu des impacts négatifs sur diverses composantes de notre économie. Enfin, une baisse de la demande extérieure adressée au Maroc a été constatée en raison du marasme économique auprès de nombreux pays partenaires.

Toutefois, vu l’avantage de sa position géostratégique et les ambitions de ses politiques sociales et économiques, le Maroc a affiché une forte résilience et a pu développer de nouveaux marchés tout en diversifiant ses fournisseurs. Aussi, les politiques sociales mises en place ont permis de réduire l’impact sur le citoyen.

Entre dette, inflation, déficit public, croissance insuffisante, demande intérieure… Les temps sont durs pour l’économie mondiale. Comment se porte l’économie du Royaume Chérifien ?

Effectivement, les temps sont durs pour l’économie mondiale. De plus, comme vous le savez, le Maroc est un pays ouvert qui est naturellement impacté par ces évolutions. Notre pays fait également face depuis trois ans à une sécheresse sévère qui impacte les ressources en eau et l’agriculture.

Notre priorité est donc de faire face aux défis de la conjoncture actuelle et de réduire leurs effets directs sur l’économie nationale et le niveau de vie des citoyens.

Cette double approche nous permet de maintenir des fondamentaux macro-économiques parmi les plus solides de la région : nous visons une inflation de 2,5% cette année et un déficit budgétaire limité à 4%. La croissance devrait quant à elle atteindre 3,7%. C’est ici que nous avons encore une marge d’amélioration pour atteindre un objectif durable de croissance au-delà de 5%.

Quels sont les atouts et les perspectives de cette économie ?

Nous avons deux atouts fondamentaux. Sous la conduite éclairée de SM le Roi que Dieu L’assiste, le Maroc dispose désormais d’une économie structurée, ayant atteint un bon niveau de maturité avec une vision de long terme à travers notamment le Nouveau Modèle de Développement qui fixe un cap de développement à l’horizon 2035.

Notre deuxième atout consiste à utiliser ces crises comme des accélérateurs de notre croissance. Nous veillons ainsi à accélérer les chantiers structurants tels que la généralisation de la protection sociale, la réforme fiscale, la réhabilitation du système de santé, la promotion des investissements et l’intégration du secteur informel.

Quelles mesures avez-vous mise en place pour attirer les investissements directs étrangers dont la résilience, dans les crises, peut amener un pays en développement à y voir la forme la plus désirable d’apports de capitaux privés ?

Le Maroc est une terre ouverte aux investissements. Cette ouverture est intimement liée aux atouts stratégiques du Royaume et à sa vocation africaine afin de l’inscrire, avec notre Continent, dans une dynamique de croissance et de développement.

Ces atouts se matérialisent à la fois par la dynamique de certains secteurs clés, comme l’automobile notamment, avec à la fois une pole position africaine, une voiture 100% marocaine et un taux d’intégration élevé. Ils se matérialisent aussi à travers des projets stratégiques tels que le projet ambitieux du Gazoduc Maroc-Nigéria ou l’initiative pour l’accès des Pays du Sahel à l’Atlantique. Enfin et surtout, il faut une politique publique audacieuse qui est désormais mise en œuvre à travers la nouvelle charte de l’investissement entrée en vigueur l’année dernière.

Si jusque-là les investissements publics ont été les piliers de notre modèle de développement et de notre modèle économique, les investissements privés sont appelés à grandir encore plus pour nous permettre de répondre à nos ambitions en termes de résilience mais aussi pour concrétiser le modèle de développement économique et social que nous avons privilégié.

Enfin, dans l’histoire du Maroc, vous êtes la première femme à occuper le prestigieux poste de ministre de l’Economie et des Finances. Peut-on dire, sans aucun préjugé, que vous avez brisé le plafond de verre ? Comment l’Etat du Maroc est-il un acteur important dans l’émergence du genre ?

A mon sens le plafond de verre est fait pour être brisé. Je pense que ce qui compte c’est le travail et la motivation. Mon exemple n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce qui peut être réalisé par la femme marocaine.

Le Maroc joue un rôle crucial dans l’émergence du genre à travers plusieurs initiatives et évolutions notables. Le cadre juridique et politique a été rénové à travers l’adoption de lois progressistes en matière de criminalisation de la violence à l’égard des femmes et de lutte contre les mariages précoces et la discrimination à l’emploi. Une stratégie nationale d’égalité et d’équité entre les genres a été mise en place pour promouvoir l’autonomisation des femmes et réduire les disparités entre les sexes. La société civile marocaine joue enfin un rôle important dans la sensibilisation et la mobilisation pour l’émergence du genre.

Toutefois, des défis persistent, mais le Maroc est déterminé à poursuivre son engagement dans l’égalité des genres. Le chantier de réforme de la Moudawana lancé cette année sous impulsion Royale en est une parfaite illustration qui devrait avoir un impact important sur la société marocaine. Cette réforme est menée de manière inclusive et participative afin de prendre en compte les aspirations de tous les acteurs concernés.

Interview réalisée par

 Samirat Ntiaze

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